Fils de Chahid

Le livre « Fils de Chahid » avec Mokhtar Ouzebiha

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Accompagnement pour l’édition du livre  de 250 pages : correction, chapitrage par titre, équilibre structure du récit,  travaux scan photo et PAO pour couverture, écriture quatrième de couverture.

EXTRAITS du livre « fils de Chahid »

Réhabiliter la mémoire des martyrs oubliés de la guerre d’Indépendance de l’Algérie

Notamment celle de mes deux oncles aujourd’hui totalement  effacés de la mémoire collective,et dont le sacrifice de leur vie est ignoré.

De 2012 à 2017, j’ai passé mon temps à déposer de la paperasse dans tous les bureaux, sans compter les personnes que j’ai dérangées pour m’apporter leurs témoignages. Tout ça pour un résultat nul. Comme je l’ai déjà dit l’administration algérienne, elle fait et défait sans se demander ce que pense le citoyen. On est vraiment traité comme des sous-citoyens.

Pendant que je courais entre l’APC, l’ONM, la Kasma, le tribunal, la gendarmerie et la direction des Moudjahidine pour rétablir la vérité, c’est-à-dire les droits de mes deux oncles qui auraient dû être acquis d’avance, l’APC a remplacé la plaque à l’entrée de l’école…

Avant c’était l’école DES FRÈRES OUZEBIHA c’est devenu école du CHAHID OUZEBIHA M’hamed…C’est comme si mes deux oncles, son frère et son cousin sont ressuscités, ils ne sont plus martyrs !

Cela prêterait à rire si ce n’était pas une affaire sérieuse. Si l’administration algérienne et ces Messieurs qui s’occupaient des affaires de ses martyrs, en l’occurrence si l’ONM et la Kasma tenaient compte des soucis des familles des martyrs… Car avant de remplacer l’écriteau, on doit avertir la famille de ses chahid (martyrs) pour leur expliquer la raison du changement. Mais rien ! Je dirais même mieux, si quelqu’un demande pourquoi ils font cela, ils dédaigneront la question.

Voilà pour l’école des frères Ouzebiha qui est devenue école du chahid Ouzebiha M’hamed.

12-École chahid Ouzebiha M'Hemed

En ce qui concerne les deux dossiers pour lesquels j’ai couru pendant cinq ans, rien n’a abouti. En Algérie c’est la loi de l’anarchie qui est reine, je suis désolé de le dire. Le dossier de mon oncle Ouzebiha Khelaf est toujours en attente à l’ONM, sans savoir si un jour il sera envoyé au Ministère des Moudjahidine. Mais plus probablement, il ne bougera jamais de là. Car maintenant je sais que le responsable de ce bureau Monsieur Ikhlef Mustapha, ne fait pas son travail comme il devrait le faire. Ou plutôt il fait ce qu’on lui dit de faire et c’est tout. À mon avis, il ne sait même pas ce qui se passe en dehors de son bureau. Il se contente des nouvelles qu’on lui donne un point c’est tout.

Tout le monde sait que le ministre des Moudjahidine avait décidé de clore définitivement les dossiers de reconnaissance en 1998, suite au scandale des faux moudjahidine. Mais encore une fois, cette mesure ne concernait pas les martyrs à qui l’on doit le devoir de mémoire. Pour moi c’est un crime commis par l’État algérien de ne pas le respecter.

Malheureusement ceux qui ont souffert, subirent ces souffrances pour rien et beaucoup parmi eux sont morts et oubliés. Ce sont les omis de la libération.

Quant à ceux pour qui l’on a construit des monuments aux morts… Il n’y a qu’à passer voir dans quel état de délabrement ils se trouvent. Ce qui est normal quand on voit la qualité médiocre des matériaux de construction que l’on a utilisés pour ces édifices. Certains de ces monuments, élevés aux endroits où sont tombés les martyres, ne vont pas tarder à disparaître. Pour d’autres monuments, on dépose des poubelles juste à côté et cela n’indigne personne… Une partie des citoyens qui ne connaissent pas leur histoire, viennent s’asseoir sur ces monuments, qui deviennent des aires de repos.

Et personne ne se soucie de ça, aussi bien les autorités que les citoyens.

Par contre les agents de l’état quand il s’agit de faire leur publicité autour des hommages rendus aux combattants, pour faire voir que l’on s’occupe des martyrs, ils savent faire… ou plutôt se laver avec le sang de ses chouhada de tous les pêchés commis et à commettre et se glorifier eux-mêmes, ils viennent alors faire un tour, sous les caméras et les flashs puis ils s’en vont.

Je le dis, ce n’est pas un mensonge, le devoir de mémoire n’existe pas en Algérie et c’est bien dommage.

Pourquoi le devoir de mémoire n’existe pas en Algérie ? Parce que les anciens maquisards de la première heure et authentiques ont tous été écartés du pouvoir. Les gens comme moi qui ont vécu cette guerre de près, n’ont pas les moyens de faire exister ce devoir de mémoire.

Alors ce que je fais à mon niveau, après avoir constaté que le devoir de mémoire est bafoué, c’est simplement d’apporter un témoignage aux enfants des martyrs, à leurs petits enfants et à toutes les Algériennes et tous les Algériens, fils de martyr ou pas.

J’ai appris aussi une autre information. En haut lieu, on a décidé d’enlever le gel concernant l’arrêt définitif de l’opération de reconnaissance des moudjahidine vivants. Cette décision serait motivée par le souci de permettre à toute une frange d’anciens moudjahidine qui n’ont pas eu l’opportunité de faire valoir leurs droits, de le faire. Pour diverses raisons. Est-ce que Monsieur Ikhlef Mustapha, responsable de l’ONM de la ville Bgayet (Béjaïa), le sait ça aussi. Je ne suis pas sûr. Ou alors s’il sait tout ça et qu’il ne fait rien… Pour en terminer avec lui, je le prie de bien vouloir nous dire ce qu’il fait à la place qu’il occupe ? Il ferait mieux de démissionner de ses fonctions.

Ceci dit malgré les difficultés auxquelles je me suis heurté face à l’administration de notre pays, je ne suis pas près de baisser les bras. Cette fois, je vais écrire directement au ministre des Moudjahidine. Cette lettre sera la clôture du chapitre des martyrs oubliés, car elle s’adresse également aux citoyennes et aux citoyens de notre pays. Réponse ou pas réponse de la part du ministre des Moudjahidine, mes compatriotes sauront ce qui se passe chez nous. Ils doivent savoir que le devoir de mémoire est sacré et que celui ou celle qui se disent citoyens doivent le respecter. Nous sommes tous concernés.

Je l’ai déjà dit maintes fois et je le répète, oublier les martyrs c’est comme si on les tuait une deuxième fois. Je pense sincèrement qu’aucune Algérienne, aucun Algérien ne peut accepter cette injustice que subissent nos martyrs. Parmi eux, il y a des femmes et des hommes. Le cas de mes deux oncles est loin d’être un cas isolé, et il y en a beaucoup plus que ce que l’on imagine.

Cette citation d’Albert Camus, un écrivain célèbre correspond bien au cas de nos martyrs oubliés.

« Les martyrs doivent choisir d’être oubliés, raillés ou utilisés quant à être compris jamais. »

Nos martyrs sont largement utilisés, oubliés certainement et parfois même raillés par certains, mais jamais compris.

Et j’ajoute, on entend sans cesse Allah yerham chouhada en particulier de la part de ceux qui nous gouvernent, tout en sachant qu’un bon nombre de ses martyrs sont oubliés.

À plusieurs reprises j’ai dit que l’État algérien ne se préoccupe pas vraiment ni des martyrs ni de l’histoire concernant la guerre de la libération. À part quand il s’agit de faire sa publicité aux yeux des citoyens ou plutôt des sous-citoyens que nous sommes. Pour une simple et unique raison, la victoire arrachée par les vrais moudjahidine authentiques de la première heure a été confisquée par une minorité de soi-disant anciens combattants qui n’ont vu la guerre que de loin. Et aujourd’hui, ils se croient les gardiens du temple. À entendre parler certains, l’Algérie est leur propriété. Et malheureusement, nous ne savons pas combien de temps cela va encore durer. Tout le monde sait que la guerre de la libération la plupart du temps s’est déroulée dans les montagnes et ses villages. Après la guerre, les villages et leurs habitants ont été complètement oubliés par le gouvernement algérien. De quoi ont-ils bénéficié ces montagnards plus de cinquante ans après la guerre de la libération ? De rien. La plupart de ces villages à moitié détruits, ou complètement détruits sont restés dans le même état que le jour où l’armée française les a laissés.

Quant aux infrastructures de ces villages (Tuddars) qui devaient être réalisés pour que les villageois puissent y rester, on n’en parle même pas. En voici quelques exemples.

Tala Ouriane, c’est mon petit village de vingt familles. Pendant la guerre de la libération, ses habitants se sont engagés avec ardeur en aidant les maquisards jusqu’à la fin de la guerre et ont donné pas moins de onze martyrs à la révolution. Qu’est-ce qu’on a fait pour ce village ? Rien, pas même une petite plaque commémorative pour honorer la mémoire de ses martyrs.

Iâidounene, qui n’est pas loin de Tala Ouriane avec ses vingt-cinq familles. Les habitants eux aussi ont soutenu les maquisards jusqu’au jour où leur village a été incendié par l’armée française. Il ne reste plus rien de ce village qui à lui seul a donné dix-huit martyrs. Deux moudjahidine natifs de ce village sont encore vivants, je leur souhaite longue vie. Rien n’a été fait pour honorer la mémoire de ce village martyr. Ni monument aux morts, pas même une plaque indiquant qu’ici même un village entier a été rasé.

Adrar Oufarnou avec une quinzaine de familles qui a donné lui aussi plusieurs martyrs. Le village a été incendié et même bombardé au Napalm par l’armée française, c’est-à-dire qu’il a été rayé de la carte. Et ceux qui ont pris le pouvoir depuis 1962 en ne faisant rien, l’ont effacé de l’histoire. Je ne vois pas comment on va faire aimer leur pays aux citoyens, si l’on ne leur apprend pas leur histoire et si l’on ne fait rien pour leur rappeler ce qui s’est passé pendant la guerre de la libération. La plupart de nos jeunes n’en connaissent rien.

Les dix-neuf villages d’Iâmranene qui ont donné cent trente martyrs. À ce jour, ce Âarch est resté enclavé dans le même état laissé par la France. Aucune infrastructure, aucun monument historique digne de ce nom n’a été érigé. Quelle scandale pour la mémoire de ces villageois dont j’ai déjà parlé, et dont je sais combien ils ont souffert pendant la guerre, car beaucoup d’entre eux sont venus se réfugier à Tala Ouriane jusqu’à la fin de la guerre parce qu’ils n’avaient plus rien.

Imezayen, dans sa globalité, cette région a donné plus de quatre cents martyrs. Le jour où les habitants de cette région ont voulu construire un monument aux morts, symbole du devoir de mémoire rendu à tous ses martyrs, il a fallu que les habitants organisent une collecte eux-mêmes. Cela a été insuffisant, mais avec un engagement conséquent de l’état, on aurait pu construire un monument aux morts digne de ce nom, qui pouvait durer des siècles, car l’histoire est faite pour durer des siècles.

Mais non… il a été construit avec un matériau de très mauvaise qualité et aujourd’hui ce monument aux morts, qui n’est pas entretenu ni par l’état ni par les citoyens, est complètement délabré, destiné à disparaître et personne ne lève le petit doigt. Ce monument aux morts se trouve à l’embranchement de la commune de Bgayet (Béjaïa) , sur la route nationale 24 qui va à Boulimat et qui continue jusqu’à Alger. Je donne cette précision pour ceux qui ne connaissent pas la région d’Imezayen.

16-Mémorial d'Imezayen

Dans une dizaine d’années tout au plus, ce monument aux morts, sera perdu et ce que l’on appelle la mémoire collective disparaîtra avec, et je sais que ce n’est pas ce que nous voulons tous. Mais malheureusement, c’est ce qui va arriver. À moins qu’un sursaut advienne et c’est ce que j’espère. Et je dirais soyons reconnaissant envers ceux qui ont tout donné, y compris leurs vies pour notre liberté.

Lettre au Ministre des Moudjahidin

Monsieur le Ministre, oublier les martyrs de la guerre de la libération c’est comme si on les tuait une deuxième fois.

Monsieur le Ministre en tant que fils de chahid, je me trouve dans l’obligation de vous adresser ce courrier, pour vous faire connaître la réalité de ce qui se passe dans notre pays. Je pense aussi que vous êtes assez informé de cette réalité pour ne pas ignorer cette problématique qui concerne aussi bien les femmes que les hommes martyrs qui ont donné leurs vies pour que beaucoup de femmes et d’hommes algériens puissent vivre aujourd’hui libres et indépendants et être respectés en Algérie.

Dans ce courrier, je vais vous parler de mon cas particulier.

En effet, parmi tous ces martyrs se trouvent les membres de ma famille : Mon père Ouzebiha M’hamed, reconnu martyr de la guerre de la liberation. Mes oncles Ouzebiha Khelaf et Ouzebiha Smaïl qui par contre ne sont pas reconnus officiellement par l’État algérien alors qu’ils le sont par l’ONM (L’Organisation Nationale de Moudjahidine)

Je voudrais attirer votre attention sur cette affaire que je trouve incompréhensible et paradoxale. À vrai dire, cela fait un moment que je cherche quelqu’un pour me donner une explication sérieuse, mais en vain. Je ne peux pas comprendre comment on peut oublier des femmes et des hommes qui ont sacrifié leurs vies pour nous et se contenter de les appeler les OMIS de la guerre de libération. Pour moi c’est invraisemblable. En ce qui concerne ma famille, mon père et mes deux oncles que je viens de citer, étaient tous les trois reconnus comme martyrs (des chouhada) depuis l’indépendance. On a attribué leurs noms à une école et pendant des années, ce fut l’école des frères Ouzebiha. Puis un jour, on a enlevé la plaque rendant hommage à ces martyrs qui était sur le mur, à l’entrée de cette école du quartier L’hamerihe (l’ancien quartier Fort Clauzel à Bgayet Béjaïa). Après travaux, l’école a simplement été débaptisée !!! À présent, on peut lire sur la nouvelle plaque, ÉCOLE du CHAHID OUZEBIHA M’HAMED. C’est comme si mes oncles, OUZEBIHA Smaïl et Khelaf n’étaient plus des chahid. Pourtant tous les trois sont bel et bien tombés au champ d’honneur les armes à la main. J’ajoute qu’aujourd’hui, d’anciens Moudjahidine vivants les connaissent et sont prêts à témoigner que Monsieur Ouzebiha Smaïl et Ouzebiha Khelaf sont bel et bien tombés au champ d’honneur les armes à la main. La seule réponse que l’on m’a donnée à l’ONM c’est qu’il y a des martyrs que l’on appelle les OMIS de la guerre de la libération.

Je répète que cette réponse me semble une fois encore incompréhensible et paradoxale. Pour la simple raison, l’ONM, la KASMA, l’APC, la DAÏRA et l’ONEC du moins c’est ce que m’ont expliqué tous les responsables de ces organisations, que d’anciens Moudjahidine se sont réunis et ont reconnu de façon formelle que les frères Ouzebiha étaient des anciens combattants morts au champ d’honneur les armes à la main. Autrement dit qu’ils étaient incontestablement des soldats de l’ALN.

L’école à laquelle on a attribué le nom des frères Ouzebiha est située dans l’ancien quartier Fort Clauzel (L’hamerihe) à Bgayet (Béjaïa), à côté d’une autre école qui porte le nom de Bhaïri Slimane, bien entendu, lui aussi est martyr de la guerre de libération. Il est indubitable que mes deux oncles eux aussi sont des martyrs de la guerre de la libération.

À ce jour ni l’ONM, ni la Kasma qui se chargent directement de ses affaires, ni personne ne m’a donné de réponse réellement acceptable. Alors je m’adresse à vous, Monsieur le Ministre, espérant que vous me donnerez une réponse satisfaisante et que vous accepterez de remédier à cette injustice. Mon père et mes deux oncles sont morts et à ce jour notre famille n’a toujours pas fait son deuil.

Après l’indépendance on a attendu pendant deux ans dans l’espoir de voir le retour de l’un d’entre eux. Malheureusement pour nous, comme pour beaucoup d’autres familles, l’attente est restée vaine. Voilà la triste réalité que nous avons vécu ma famille et moi. Monsieur le Ministre je me permets d’insister sur le fait qu’oublier les martyrs qui ont donné leurs vies pour que l’Algérie soit libre et indépendante est indigne. Plus de cinquante ans après, on se contente d’appeler ceux qui ont sacrifié leurs vies pour la nation « les omis de la guerre de la libération ». Pour moi c’est une insulte à leur mémoire c’est comme si on les tuait une deuxième fois et cela est profondément injuste.

Quand mon père et ses deux frères ont pris le maquis, moi je n’avais que sept ans. Mon père était à peine plus âgé que son frère et son cousin, mes deux oncles Ouzebiha Smaïl et mon oncle Ouzebiha Khelaf. Eux, étaient célibataires et ont donné leurs vies alors qu’ils étaient à la fleur de l’âge.

Pour ce qui est de la guerre d’Algérie, elle a fait de moi un orphelin et l’indépendance a fait de moi un grand déçu.

J’espère, Monsieur le Ministre, ne pas connaître de déception venant de vous. Je souhaite sincèrement que vous apportiez une réponse favorable à ma requête. Quand je vois toutes les dates anniversaires durant lesquelles on célèbre ces évènements en grande pompe, journées auxquelles j’assiste moi-même, je constate avec douleur que des martyrs tombés au champ d’honneur pour libérer leur pays de l’ennemi, ne sont pas vraiment reconnus et que ces fêtes ne sont que de la poudre aux yeux. Je me permets de le dire, car cela me dépasse et m’est insupportable. Je sais aussi que ce n’est pas le cas de tout le monde de ne pas se soucier des familles des chouhada.

Néanmoins, il me semble qu’il y a certains responsables qui devraient faire le travail lié à leur attribution.

On entend tout le monde se gargariser des mots ALLAH YERHAM CHOUHADA. Il semble plutôt que cela soit davantage pour se glorifier soi-même. Il me semble en effet que ce n’est pas pour rendre un hommage mérité à ces Zaâimes qui ont donné leurs vies afin que l’Algérie soit libre et indépendante. Cela me chagrine beaucoup et je trouve ça bien dommage.

Quand je vois l’État algérien rendre hommage aux anciens combattants morts pour libérer la France du nazisme, je trouve que c’est une bonne chose en soi, car il faut reconnaître la bravoure des femmes et des hommes courageux qui se sont sacrifiés pour de bonnes causes. Mais dans ce cas, il faut reconnaître toutes les bonnes causes et n’oublier personne de ceux qui ont donné leurs vies pour leur mère patrie, comme mes deux oncles l’ont fait. Comment voulez-vous que je ne sois pas révolté de cette injustice ?

Moi fils de chahid touché dans ma chair, comment voulez-vous que je puisse croire au sérieux de ces hommages rendus aux martyr(e)s algériennes et algériens ?

La vérité c’est qu’ils sont oubliés et que ceux qui président ces cérémonies du souvenir pensent davantage à leur notoriété personnelle. Monsieur le ministre, moi fils de chahid, je n’ai jamais rien demandé à l’État algérien et je ne lui demanderais jamais rien.

Si je vous adresse ce courrier, c’est uniquement pour accomplir ce devoir que l’on appelle le devoir de mémoire. Toutes les Algériennes et tous les Algériens qui se respectent et dignes de ce nom devraient accomplir cette tâche.

Il est même de notre devoir à tous de ne pas laisser tomber dans l’oubli ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour nous. Afin que nous puissions tous vivre en tant que peuple libre indépendant et respecté. Mais si l’on oublie ceux qui ont perdu leur vie pour nous, de quoi pourrions-nous être fiers ?

Personne ne peut comprendre cette injustice et ceux qui sont morts ne seront jamais reconnus dans leur courage, leur dignité et leur honneur. Toutes les qualités dont ils ont fait preuve seront à jamais emportées avec eux. Il y va de notre fierté et de notre devoir de reconnaissance, car cette injustice nous rattrapera inévitablement un jour ou l’autre. Monsieur le ministre ce courrier ne s’adresse pas uniquement à vous et vos services, il s’adresse aussi à toutes les Algériennes et à tous les Algériens qui veulent que leurs martyrs ne soient pas oubliés.

Je pense que vous aussi Monsieur le Ministre vous faite partie de ses Algériennes et ses Algériens qui comme moi, n’accepte pas que leurs martyrs soient oubliés.

En ce qui me concerne Monsieur le Ministre, je pense que si vous acceptiez de me répondre, nous aurions tous deux effectué notre devoir de mémoire. Autrement dit, je n’ai rien à vous reprocher en tant que citoyen de notre pays. Par ailleurs, je sais qu’aujourd’hui vous êtes ministre des Moudjahidine, vous pouvez demain redevenir un simple citoyen comme moi. Et nous devons nous rappeler que tout citoyen responsable de ce pays et digne de ce nom doit satisfaire au devoir de mémoire, s’il veut mériter le nom de citoyen.

Un pays sans mémoire c’est un pays sans histoire, voué à l’échec en permanence.

En attendant une réponse favorable de votre part, je vous prie, Monsieur le Ministre, de recevoir l’expression de mon plus profond respect.

Épilogue

QUE DIEU BÉNISSE LES MARTYRS ET QU’ILS REPOSENT EN PAIX.

Ce que je raconte dans ce livre, c’est ce que j’ai vécu avant la guerre, pendant la guerre et après la guerre de la libération, avec ma famille et tous les gens qui m’entourent. Les remarques que j’ai faites ou certaines choses que j’ai dites ou que je reproche à certains, je les ai toujours faites avec respect et objectivité. Je n’ai pas du tout l’intention de juger les gens, seul Dieu en est capable sans se tromper. Ce n’est pas du tout dans mes habitudes de faire des procès d’intention aux personnes. Dans la vie, tout n’est pas noir et tout n’est pas blanc. Il faut de tout pour faire un monde.

Ce que j’ai vécu, je sais que beaucoup d’autres gens l’ont vécu aussi, en particulier ce qui s’est passé pendant la guerre de la libération. Je sais aussi que la majorité de mes concitoyennes et de mes concitoyens aiment leur pays comme moi. Beaucoup ont tout donné y compris leur vie.

Moi j’ai eu la chance de me sortir indemne de cette guerre, même si je porte toujours les séquelles psychologiques et physiques en moi. Mais ce que je peux dire avec une certitude absolue, c’est que ceux qui ont traversé cette guerre, ils ont été marqués au fer rouge et à vie.

Un jour, un des anciens moudjahidine m’a dit « ceux qui sont morts ne sont pas morts pour rien » et j’ajoute, ceux qui ont souffert pendant cette guerre, femmes, hommes et enfants ne l’ont pas fait pour rien, malgré le résultat nul de mes démarches et le détestable comportement de certaines personnes que nous voyons tous les jours. Je suis d’accord avec lui. Et moi en tant que fils de chahid, je dis que nous devons continuer à faire tout ce que nous pouvons pour que l’injustice que nous subissons ne devienne pas une règle, et nous devons faire en sorte qu’elle disparaisse pour ne pas perdurer et nous ronger de l’intérieur.

Je pense sincèrement que la majorité de nos concitoyennes et concitoyens, fils de chahid ou pas, moudjahid ou pas, y compris certains de ceux qui travaillent dans des postes où ils sont obligés de suivre le système actuel, ont la volonté de construire leur pays. Quant à ceux qui soutiennent et profitent du système en place, qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels, ils n’ont pas leur place et le peuple les rejette bien évidemment.

Il ne faut pas céder aussi à une certaine minorité de personnes qui croient que le pays est leur propriété et qu’ils n’ont de compte à rendre à personne.

Un des grands savants de notre pays, Mohamed Âarkoun, mondialement connu a dit ceci win yevghane ad isservah tamurt as inin verra — celui qui veut enrichir le pays on lui dira dehors.

J’espère que cette citation ne sera qu’un nuage de passage au-dessus de notre tête à tous. Et que le jour viendra où tout le monde se mettra au travail dans l’intérêt des uns et des autres et de celui de toute la nation algérienne bien évidemment.

D’autres extraits du récit « fils de Chaid »

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3 réflexions sur « Fils de Chahid »

  1. Bonjour, le témoignage de ce monsieur m’a beaucoup émue. Il est sincère et je me sens proche de lui même si je n’ai pas vécu toutes ces injustices. J’écris la biographie de quelqu’un de ma famille qui a fait la guerre d’Algérie dans l’armée française pendant son service militaire et même s’il s’agit un point de vue de l’autre côté, on retrouve les mêmes constats: inutilité de la guerre, souffrance et impuissance face à l’Etat. J’ai une question: est-il possible d’acheter cette biographie avec l’accord de ce monsieur? Cordialement, Anne

      1. Bonjour Valérie, oui c’est moi. Merci pour votre retour sur votre site. Par contre je n’ai pas reçu votre email. Vous me l’avez envoyé aujourd’hui ?Bonne soirée. Cordialement, Anne

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