livre autobiographique

Ma vie en 360

Le livre  « Ma vie en 360 « 

livre autobiographiqueMarcel Boutreau nous raconte avec une énergie sobre son parcours professionnel au moment des trente glorieuses et des immenses chantiers des années 1970 en passant par le récit de ses anecdotes pendant la première guerre mondiale alors qu’il n’était qu’un adolescent.

Je me suis beaucoup amusé à corriger et structurer le texte de Francis qui nous apporte de la légèreté à chacune de ses pages.

Pourquoi 360 ?

Et bien la couverture l’explique en partie mais pas que!

Il se trouve que Francis a beaucoup voyagé sur des Airbus 360…

EXTRAITS du livre

Le début d’une vie tranquille

Depuis mon plus jeune âge, on m’appelait le petit Marcel.

À 6 ans, comme tous les enfants, je suis entré en 6e, à la grande école comme on l’appelait à cette époque. Ce fut alors l’apprentissage de la lecture, du calcul, de la morale, de la géographie, de la science, de la récitation et de la terrible dictée où il fallait éviter de faire des fautes.

Tous les soirs de la semaine, je rentrais vers 16h30 pour goûter puis je faisais devoirs et leçons sauf les jeudis et samedis après-midi où je n’avais pas classe.

Le jeudi matin était réservé au catéchisme et à la messe dans une paroisse distante de plus d’un kilomètre de la maison. En fin de matinée, ma journée se poursuivait à faire de l’herbe pour la cinquantaine de lapins qui étaient à l’abri dans une annexe mitoyenne de notre maison, en compagnie des poules. L’après-midi, je rejoignais le patronage dont s’occupaient les abbés pour jouer au football. Je devais également participer à l’arrosage de notre jardin potager qui s’étalait sur 500 m2, et ce depuis notre réservoir.

Mon père travaillait dans une société qui possédait de nombreuses succursales. Son rôle consistait à compter les résultats des feuilles d’inventaires. Il était capable d’additionner deux colonnes de chiffres simultanément.

Je me rappelle qu’en 1936, des grèves éclatèrent. Cela entraîna des conflits entre patrons et syndicats qui défendaient les droits des salariés : le pouvoir d’achat et l’obtention des fameux congés payés. À la débauche le soir, il y avait des émeutes entre les grévistes qui voulaient faire aboutir les revendications et les autres qui craignaient de perdre leur emploi. Cela dura plus de trois semaines et enfin ils obtinrent une augmentation de salaire et quinze jours de congés payés.

Je me souviens bien de ces évènements, car notre maison se trouvait entre les entrepôts de ces deux sociétés, et je voyais qu’il y avait de la bagarre à la sortie des bureaux midi et soir.

En 1937, mon père m’avait emmené à l’exposition internationale des arts et des techniques qui se tenait à Paris. J’ai encore la vision du premier poste de télévision installé sur une grande table avec derrière des tas de lampes branchées pour alimenter l’image!

Pendant les grandes vacances scolaires, je passais de quinze jours à trois semaines chez ma marraine. Son mari, mon oncle était apiculteur. Il avait une dizaine de ruchers et 400 ruches. Souvent, je l’accompagnais pour les visiter, les contrôler, voir la reine, donner du sucre quand c’était nécessaire, retirer des cadres de la ruche pour les ramener à la maison. Nous procédions alors à la désoperculation de la surface afin de récupérer le miel. Pour ce faire, après avoir passé les cadres dans la centrifugeuse pour que le miel se dépose sur la paroi de la cuve. Celle-ci était percée d’un robinet permettant au miel de s’écouler. Puis il fallait passer le miel dans un filtre de nettoyage avant sa mise en pot.

De temps en temps, mon oncle jouait aux échecs et je regardais la partie, observant les mouvements des différentes pièces. Au bout d’un certain temps, j’ai compris et à mon tour, j’ai su jouer. Plus tard, cela m’a permis de me faire un copain avec qui j’ai partagé de nombreuses parties.

Il est resté un ami que je revoyais à l’occasion, qui est même venu assister à mon mariage.

Les années ont passé jusqu’en 1939. Cette année là, au moment de la déclaration de la guerre, je me suis retrouvé, en colonie de vacances dans le Jura, à côté de Baume les Dames, près de la frontière allemande et de la Suisse. Au lever, nous faisions d’abord la toilette que suivait le petit déjeuner; nous enchaînions avec des activités sportives et des promenades à travers la campagne jusqu’au repas de midi. Une sieste obligatoire continuait le programme avant de jouir d’un temps libre jusqu’au goûter. L’après-midi se poursuivait par des jeux collectifs avant de se rassembler de nouveau pour un brin de toilette préalable au dîner.

Désormais, le calme de la colonie s’estompait pour laisser place à la guerre.

De là où nous étions, nous entendions au loin le grondement des canons. La guerre était proche et les responsables de la colonie ne savaient pas s’il fallait passer en Suisse ou s’il était préférable de nous renvoyer dans nos foyers. Cela dépendait de l’avancée des troupes allemandes. Finalement, huit jours plus tard, après avoir reçu plus d’informations, des cars sont arrivés pour nous rapatrier dans nos foyers. Cela fut un grand soulagement pour nous tous, parents et enfants, car on avait peur après avoir entendu parler des atrocités faites par les Allemands.

Après un voyage sans histoire, j’ai retrouvé ma famille et j’ai raconté mes journées passées à la colonie.

La guerre entre dans nos vies

Le 3 septembre 1939, la France et l’Angleterre entrent en guerre : c’est la mobilisation générale et le rappel des réservistes comme mon père, qui, en tant que sous-officier, fut appelé à Metz. Nous sommes restés sans ressource pendant une dizaine de mois avant de vivre ce que l’on appela la débâcle….

Mon père fut démobilisé comme soutien de famille et, comme beaucoup de Français du Nord et de l’Est, nous avons dû fuir nos maisons, les combats étant très proches. Dans un premier temps, nous avons rejoint en camion la banlieue parisienne, pour loger chez des cousins. Mais cette pause fut de très courte durée, car l’avancée rapide des troupes allemandes nous obligea à évacuer par la route, vers le sud, avec seulement une brouette pour transporter les valises et mes deux sœurs âgées de 3 et 6 ans. Quant à mon frère et moi, nous avons marché jusqu’à Orléans, tout en évitant le feu des mitrailleuses des avions allemands…

Enfin, nous avons réussi à prendre le train pour Bordeaux. Mais nous n’étions pas sauvés pour autant, subissant toujours la mitraille allemande, le train s’arrêtait régulièrement pour voir s’il y avait des blessés; puis à la gare d’Angoulême, nous avons subi un bombardement avant de changer de train pour repartir. Nous nous rendions à Cherve de Cognac, petit village à proximité de la ville de Cognac, où ma mère avait une soeur.

Mes parents ont trouvé à se loger dans une petite maison avec mes soeurs et mon frère tandis que moi je suis allé habiter chez ma marraine avec mes cousins. Quatre jours après notre arrivée, nous nous sommes cachés dans les bois pour voir arriver les soldats allemands dans les camions et leurs automitrailleuses… Ils ont été très corrects avec les habitants et comme j’étais un petit garçon curieux, j’ai fraternisé avec eux. Ils étaient de repos plusieurs jours au village et j’étais tous les jours parmi eux, leur préparant leur café.

Une semaine plus tard, des camions de ravitaillement les ont rejoints. Je les observais tandis qu’ils déchargeaient les cartons des camions quand un soldat m’a donné un gros colis: c’était cinq kilogrammes de chocolat ! J’ai couru pour rapporter le précieux paquet chez moi… Vous pensez si ma famille était heureuse ! Quelques jours après, les soldats allemands sont repartis vers Bordeaux.

Triste retour à Reims

Mon père ayant trouvé du travail comme bûcheron, je l’ai accompagné dans les bois pour élaguer les branches des troncs d’arbre afin d’en faire des stères de bois de chauffage d’une longueur de 1m. Dans ces bois, j’avais peur car il y avait souvent des vipères.

Notre exil a duré jusqu’a la mi-octobre puis nous avons pris le chemin du retour vers Reims et en deux jours nous étions revenus dans notre maison. Nous avons découvert que la maison avait été visitée. On nous avait volé nos poules et nos lapins. Le jardin était dans un triste état, des mauvaises herbes ayant envahi le potager, qu’il fallut arracher pour récupérer les légumes poussés dessous. Les fruits étaient restés sur les arbres sans être cueillis. Malgré tout, aux alentours nous avons rattrapé quelques poules et lapins pour reconstituer le poulailler et le clapier. À 1km de la maison, nous avions une parcelle de terre cultivable dont il fallait vérifier l’état… Mais pour y aller il a fallu que mon père fasse des démarches auprès de la Komandantur afin d’obtenir des papiers pour chacun des membres de la famille, pour pouvoir circuler dans notre propre ville !

Mon père a réussi à trouver du travail pour lui et mon grand-frère[1]. C’était dans une entreprise de fabrication de paillons, un emballage de paille servant à la protection des bouteilles. Malheureusement au milieu de l’année 41, l’usine a cessé son activité mais mon père a réussi à retrouver un poste dans une société de cinema qui possédait trois salles de spectacle dans notre ville.

Entre temps, j’avais fait ma communion. Mon père avait invité une partie de la famille à un repas mais il eut beaucoup de mal à trouver la nourriture pour les vingt convives que nous étions.

Ce jour là, je reçus en cadeau la pièce de ma marraine et le reste de l’argent qu’on m’avait donné servit à mon père pour payer le repas. Cela m’amène à vous raconter une autre anecdote sur l’argent détourné!

Un jour de mai 1942, nous sommes partis avec mon père ramasser du muguet pour le vendre place de l’église…Mon père a placé l’argent récolté à la caisse d’épargne…et en 1958, je me suis présenté pour retirer le magot…il ne restait que 12 centimes ! Tout cela à cause de la dévaluation du franc voulu par le général de Gaulle !

Un cinéma comme univers

Mon père était adjoint de direction du cinéma. C’est lui qui était en charge de la comptabilité et qui organisait le planning de travail des ouvreuses. Grâce à ce poste, nous avons déménagé dans un appartement dans un des cinémas, situé au 2e étage, à côté de la cabine de projection. C’est ainsi que je me suis souvent trouvé avec les opérateurs dans la cabine. Cela me permettait d’observer le montage des projecteurs, la mise en place des bobines de film et la préparation de chaque chambre pour avoir la lumière nécessaire à la projection: elle était produite par une lanterne comportant une lampe à arc, alimentée en courant continu par des électrodes qui étaient en charbon; elles se consumaient au fur et à mesure et le projectionniste devait régler la position des charbons plusieurs fois durant la projection et les changer fréquemment.

Il fallait charger chaque projecteur avec une bobine de 500 m environ, du haut vers le bas en passant par des galets crantés, en laissant des boucles pour ne pas raidir le film et éviter que ça casse.

La durée d’un film dépassait la durée d’une seule bobine, c’est pourquoi il y avait deux projecteurs dans la cabine. Le projectionniste devait alors, sans interrompre la séance, faire le changement de bobine en passant sur le deuxième projecteur. Pour cela, il surveillait l’image à l’écran où apparaissait un repère qui indiquait impérativement l’ordre de mettre en route le projecteur n° 2 et d’arrêter le n°1. Après quoi, on pouvait déposer la bobine, la rembobiner à l’endroit pour une projection suivante, dans un autre cinéma.

Après plusieurs mois de présence dans la cabine, le soir ou le dimanche, j’ai fini par remplacer, plusieurs fois, un des opérateurs quand il était absent ou en congé. À cette époque, je voulais en faire mon métier. Le patron savait que je remplaçais un opérateur manquant et il m’avait donné le feu vert pour que je puisse en devenir un moi-même, à condition que je sois électricien. À partir de cet instant, j’ai décidé d’apprendre le métier d’électricien.

Nous étions en 1943, je me suis inscrit aux cours du soir en section électricité et trois fois par semaine entre 18 et 20 h, j’assistais au cours; comme l’École primaire était mitoyenne avec l’École professionnelle, le samedi matin, je faisais le mur pour assister aux cours et faire les travaux pratiques. Cela a duré quelque temps avant que notre famille déménage à cause de travaux importants dans la salle de cinéma. Nous sommes partis à l’autre bout de la ville. J’ai donc arrêté mes cours, mais j’ai continué à apprendre avec quelques livres.

Les vaches maigres

Pendant cette période, se nourrir était devenu difficile, nous étions soumis à la pénurie alimentaire. Le centre de secours distribuait les tickets de rationnement pour lesquels on faisait la queue. Ils étaient marqués d’un A pour adulte, d’un J2 pour les moins de 13 ans et J3 pour les adolescents jusqu’à 21 ans. Nous avions réussi à avoir du lait chez un laitier qui se trouvait dans le centre-ville à environ 3km de la maison. Au jardin, avec le peu de semence que nous avions trouvé, nous avions récolté des navets, des rutabagas, des topinambours, un peu de pommes de terre, quelques carottes, poireaux et céleris.

C’était vraiment une période de vaches maigres, le temps du marché noir où chacun essayait de se débrouiller pour trouver à manger. C’est ainsi qu’il a fallu que j’aide ma famille à trouver à se nourrir et trois fois par semaine, je partais en vélo dans les fermes de la campagne rémoise à environ 50km. Je trouvais des pommes de terre, du blé à moudre pour avoir de la farine, des oeufs, etc. Je filais dès le matin pour revenir dans l’après-midi voire le soir. Je me souviens qu’une fois, j’étais parti avec des tickets de ravitaillement qui ne valaient rien dans la Marne, mais avec lesquels, dans l’Aisne, je pouvais obtenir 3 kg de sucre! Je me suis retrouvé à côté de Soissons dans une sucrerie. Sur la route du retour me trouvant dans un convoi de camions allemands, je me suis fait mitrailler par des avions anglais, j’ai plongé dans le fossé pour me mettre à l’abri. Le temps perdu fit que je ne pouvais plus rentrer sur Reims à cause du couvre-feu. J’ai envoyé un télégramme à mes parents pour les prévenir que je couchais dans une grange pour la nuit. Je suis donc rentré le lendemain vers 9h avec mes 3kg de sucre!

Pour aller au ravitaillement, j’avais un vieux vélo avec roue libre, sans dérailleur. Les pneus étaient en très mauvais état, usés dont les chambres à air étaient pleines de rustines! C’est avec ce vélo que j’ai eu pas mal d’ennuis…car je ne sais pas combien de fois j’ai dû démonter le tout pour réparer. À cette époque, nous ne pouvions pas acheter de matériel, il fallait en justifier le besoin, même avec les tickets de rationnement. Et de toute façon, il n’y avait plus de pièce chez le marchand de vélos. Certaines fois, j’ai été obligé de remplacer la chambre à air par de l’herbe bien bourrée dans le pneu pour continuer à rouler!

Une fois, toujours pour aller au ravitaillement, j’ai crevé ma roue arrière. J’ai pu réparer sur le bas coté de la route grâce à mon petit sac de matériel avec à l’intérieur démonte-pneu, rustines et de la dissolution: j’ai retiré la roue – heureusement en ce temps-là il y avait des papillons pour serrer la roue – j’ai démonté le pneu pour accéder à la chambre à air et j’ai collé ma rustine… Puis je suis reparti avec mon vélo et mon chargement. Malheureusement, 10 km plus loin je suis tombé sur des gendarmes qui contrôlaient les sacs à cause du marché noir. Ils m’ont pris tout ce que j’avais: de la farine et des oeufs, je suis reparti ce jour-là chez moi sans rien.

À la suite de quoi, j’ai recherché, chez les garagistes, des roulements à billes pour me faire un chariot. Il s’agissait de deux roulements de 12 cm de diamètre pour l’arrière et de deux autres de 8 cm pour l’avant, d’une planche de 50 x 80 cm et de deux tasseaux en bois pour les roulements.

Sans mon vélo, je prenais le train avec mon chariot. Une fois, j’ai pu trouver des pommes de terre que j’avais mises dans une taie d’oreiller qui faisait office de sac, j’ai rapporté le tout à la gare avec mon chariot. Mais au moment de mettre le tout dans le wagon, la taie s’est crevée et les pommes se sont répandues par terre… Heureusement, le train a attendu que je ramasse le tout. J’ai dû faire des pieds et des mains pour ramener mon chargement.

Presque chaque nuit, nous vivions une alerte, car les bombardiers passaient au-dessus de notre ville pour aller bombarder les villes d’Allemagne. Aussitôt que la sirène nous réveillait, il fallait se lever, s’habiller, descendre dans la rue et courir se mettre à l’abri dans le troisième sous-sol de la cave d’une grande maison de champagne qui se trouvait au moins à 1km de notre habitation.

Une fois, en pleine nuit, après avoir entendu l’alerte, nous étions en train de rejoindre la rue; arrivés au bord du trottoir, prêts à courir vers la grande maison, une formidable explosion nous a soufflés jusqu’au fond du couloir. Trente secondes plus tard, je ne serai plus là pour vous le raconter… Une bombe a explosé dans le milieu de la rue à 50 m de notre habitation provoquant un souffle énorme doublé d’un gros nuage de poussière. Sonnés, nous sommes sortis pour rejoindre la cave, en pleine nuit et sans lumière. Il a fallu passer sur le tas de terre le long du mur de la maison pour ne pas tomber dans le trou béant qu’avait laissé l’explosion, rempli d’eau, car la canalisation était éclatée. Tout le monde a réussi à passer sur le côté sauf mon frère qui a glissé du tas de terre pour se retrouver dans le trou avec de l’eau jusqu’au cou. Nous l’avons tiré de là avant de nous mettre à l’abri pour le reste de la nuit.

Nous avons donc vécu sous la domination allemande avec toutes ces contraintes et j’ai dû aller au ravitaillement jusqu’à la libération, ce qui bien sûr m’a fait rater l’école au moins deux fois par semaine. Cela ne me plaisait pas, mais je faisais mon devoir pour ma famille. Notre école étant fermée, j’ai pu reprendre mes études dans une autre école ouverte provisoirement à 2 km de la maison.

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