Les chroniques des aventuriers de Machecoul

Une biographie écrite par Valerie Jean Biographe

Les chroniques des aventuriers de Machecoul

Extrait du livre

Laissez-moi vous raconter l’épopée africaine de mon père, cet homme actif, débordant de projets, qui réussit malgré la difficulté des chantiers qu’il menait là-bas, a réussi à fonder sa famille.

Le baroudeur solitaire

Cette période passée sur le continent africain débute en 1924 avec son arrivée à Abidjan en Côte d’Ivoire pour un engagement de deux ans avec la FAO, (compagnie française de l’Afrique occidentale) comme agent de factorerie (bureau de commerce dans les colonies). Après 1 an, il est en poste à Bouaké en Haute-Volta.

Puis en 1926, il quitte la FAO pour retourner en Côte d’Ivoire dans une exploitation forestière dans la région du Grand-Bassam.

En effet, après la guerre de 1914-1918, les routes commerciales sont à nouveau ouvertes et il existe des opportunités pour l’exploitation forestière des colonies françaises d’Afrique. C’est ainsi que de nombreuses petites sociétés disposant de quelques moyens techniques pour exploiter le bois obtiennent des permis de coupe.

Pour papa, en 1927, c’est un retour en France pour un congé mérité. Son voyage par bateau a duré 18 jours. La même année, il revient au Gabon employé par la maison UCAF, entreprise d’exploitation forestière. Il est en charge de la commercialisation du bois : comptabilité, achat et organisation du transport des grumes. Pour ce faire, il se déplace dans divers lieux : Port Gentil, Libreville. Puis il est en charge de plusieurs chantiers forestiers. Cela lui permet de lancer un chantier à son compte aidé de l’UCAF pour obtenir le permis d’exploitation.

La prospection pour établir son chantier est la première opération : elle a pour but de repérer les arbres exploitables et d’en dresser la carte. C’est leur emplacement qui définit les bases de l’exploitation du chantier : le lieu de campement, les voies de débardage, le lieu de stockage des troncs et leur expédition vers le point d’embarquement.

L’abattage se faisait à la hache, le débardage avec des lianes ou au « mirombo » et l’évacuation des grumes en radeaux descendant au fil de l’eau jusqu’au port d’embarquement.

Parallèlement à la gestion de son exploitation forestière, papa devient le directeur de la Société Agricole et Forestière du Gabon.

Plus tard, au retour d’un congé en France, il décide de s’associer avec un certain Folquet pour étendre ses activités à la fabrication d’eau gazeuse, limonade et à la boucherie. Il confie ses affaires à son associé et repart en congé en France.

C’est l’occasion de laisser son cœur à Germaine avec qui il se fiance avant de repartir. L’association sera un échec : pour la boucherie, il y avait un gros concurrent et pour la limonade, elle ne se conservait pas et s’altérait trop rapidement.

Quant à l’exploitation forestière en 1930, elle ressent le contre coup de la crise économique de 1929 et le bois ne se vend plus. Mon père se retrouve sans travail. Il fait alors le taxi, des bricoles à Libreville avant de partir dans la brousse chasser l’éléphant pour faire le commerce de l’ivoire qui ne rapporte plus assez. Il décide de rentrer en France se ressourcer et retrouver Germaine, sa fiancée.

L’épopée familiale

Mes parents se marient en 1931 et embarquent pour l’Afrique. Mon père est de nouveau employé par l’UCAF à Libreville pour la gestion du commerce de bois et l’encadrement de chantiers forestiers. Avec le soutien de Mr S, son patron, il ouvre un nouveau chantier forestier pour son compte. Tout marche bien, la vente du bois étant bien repartie.

En 1933, le premier né de la fratrie voit le jour à Libreville. En 1934, la famille rentre pour des congés. En 1935, mes parents retournent au Gabon avec le petit Julien dans leurs bagages par cargo, via la Hollande (Pays bas). Le voyage dura 21jours.

La Société d’Entreprises Africaines avait bien le permis d’exploitation forestière, mais n’avait pas déposé de concession qui consistait à délimiter au préalable une parcelle délimitée pour l’exploitation. Mon père doit partir prospecter en forêt pendant plusieurs mois, laissant maman et Joël à Libreville.

Il ne s’agissait pas seulement de trouver un peuplement d’okoumés (arbres), mais il fallait qu’ils soient valables et qu’ils ne soient pas localisés sur une concession déjà enregistrée, sachant que les cartes étaient approximatives, voire fausses !

Inutile de dire combien le travail dans la brousse est difficile et exténuant. L’art du rafistolage et de la débrouille est essentiel pour un exploitant forestier. Il faut aussi des caractères bien trempés pour résister à l’isolement et une santé robuste pour affronter le climat très humide usant les organismes les plus sains. Enfin, le courage est indispensable, de même la renonciation à une vie tranquille et bien réglée !

Mais le travail acharné de papa paye, le bois et les radeaux se vendent bien et dès 1937, la famille peut repartir en congé vers la France. C’est pendant cette pause, en janvier 1938 que survient la naissance à Nantes de Marie, la seule qui soit née en France, avant de retourner au Gabon en 1938.

Mon père avait laissé le chantier à la garde d’un Européen, Mr H qui devait poursuivre le travail et ouvrir un autre chantier : pose des rails pour le transport par wagonnet, sorties de route pour évacuation du bois, etc.

Quand ils sont arrivés, rien n’était prêt. La case familiale dans la brousse n’était même pas terminée. Malheureusement il ne restait que 2 mois pour sortir le contingent de bois alloué pour l’année. Dès le lendemain de son arrivée, mon père lançait l’abattage… Il a réussi à débiter tout le bois prévu et à l’envoyer à l’embarquement en temps voulu.

En cette année 1939, tout marchait bien quand la guerre fut déclarée ! Dix ans après la crise de 1929, le monde économique s’arrête. Mon père se retrouve sans acheteur encore une fois puisque plus aucun cargo ne prend en charge le bois. Comme beaucoup de français, mon père est mobilisé et il part à destination de la Libye via le désert. Mais arrivé à Brazzaville, au regard de sa situation familiale, comme deux autres soldats il est renvoyé à Libreville tout en restant mobilisé.

Jeanine, la troisième de la fratrie naît en avril 1940.

Le chantier de bois étant quasiment à l’arrêt, mon père installe la famille à Kango où il démarre diverses activités lui permettant de vivre décemment : plantations de café, cacao, ananas, mandarines et avocats, élevage de porcs, poulets et moutons pour le commerce de détail et de gros. Il crée des boutiques dans toute la région.

En 1942, Nadège pointe le bout de son nez.

Parallèlement à ses affaires, papa prend en charge la gestion des concessions d’Européens coincés en Europe. Il a également l’obligation en temps que mobilisé d’effectuer régulièrement des stages militaires.

Une année se passe et épuisés par le climat humide du Gabon, papa décide de partir pour le nord Cameroun où l’air est plus sain. Le voyage se fait en camion pendant trois jours, c’est harassant pour tout le monde. Et à l’arrivée à Yaoundé, je tombe malade, à cause d’un gros furoncle infecté. Bien sûr je n’ai pas de souvenir étant bien trop jeune. Je suis hospitalisée pendant plus d’un mois à l’hôpital, maman reste avec moi tandis que mon père et Joël repartent à Edbolova avec le reste de la famille.

Mon père rejoint le Docteur Gouvelen qui dirige un centre de lépreux et sommeilleux et qui propose de nous installer à Ayos pendant deux mois avant de revenir à Kango. Mes parents se relaieront à mon chevet à Yaoundé pendant trois mois. Plus tard, vers quatre ans j’ai mangé du vert-de-gris, de la moisissure d’un vieux poste de radio. On était en pleine brousse, il n’y avait ni docteur ni d’hôpital. Maman m’avait gavé de lait pendant plusieurs jours pensant endiguer les effets du poison. On sait aujourd’hui que le lait n’a aucun effet en cas d’intoxication, mais c’est ce qui se disait à l’époque. J’avais été bien malade, mais mon corps a repris le dessus.

Maman cousait tous nos vêtements. Un jour, je me suis enfoncé l’aiguille de la machine à coudre de maman dans le doigt. Mes parents ont eu beaucoup de mal à la retirer et ont évidemment géré la situation au mieux, en appliquant un désinfectant et surveillant la plaie. Bon sang que j’ai eu mal. Seulement je peux dire que je n’ai plus jamais touché une machine à coudre ou même une aiguille !

En 1944, naît Micheline la benjamine de la famille. Cette année-là, mon frère est reparti tout seul en France, sur le Hoggar bateau faisant la liaison avec l’Afrique, pour pouvoir poursuivre sa scolarité. Il était attendu par notre grand-mère Jeanne Rollin, qui prendra soin de lui pendant tout le temps de notre absence.

Les dernières années, nous sommes restés sur l’exploitation vivrière de Kango au bord du fleuve Komo où mon père cultivait des mandarines, des ananas, etc. À cause de la guerre, les routes maritimes devenues trop risquées sont fermées ce qui entraîne l’arrêt de l’exploitation forestière. Ainsi, à partir de 1939, coupés de la France et de ses exportations, il a fallu se débrouiller.

Maman rendait visite régulièrement à Sœur Gabrielle, une religieuse installée à la mission Sainte Marie du Gabon de Libreville. C’était une jeune femme originaire de Nantes et cela faisait du bien à maman d’aller discuter du pays de temps en temps avec une compatriote. J’ai retrouvé le recueil des mémoires africaines de sœur Gabrielle, qui raconte son épopée africaine et des expériences de mission. J’ai repris plusieurs choses de ces anecdotes que nous avons vécues nous aussi au Gabon.

Il n’y avait plus de lait, nous râpions la pulpe des noix de coco pour en extraire le jus que nous passions dans un linge fin en versant de l’eau bouillante. Pour la viande, il était courant de manger un civet de rat palmiste, un petit rongeur qui passe sa vie dans les palmiers. On utilisait la peau des troncs de bananiers pour faire des bandes de tissus et la graisse de boa nous aidait à calmer les abcès. Pour l’école, les enfants écrivaient sur des planches de gombo-gombo (du bois très tendre) avec une mine de carbone que l’on effaçait avec des feuilles d’arbres.

Notre vie quotidienne se pliait aux contraintes africaines : ici pas de bec de gaz pour nous servir le feu, nous devions aller chercher notre feu au creux d’un tronc d’arbre qui brûlait continuellement au bout du village. Et puis on subissait la torture des moucherons et des moustiques qui se précipitaient dès qu’on allumait la lampe tempête pour le soir.

Mais surtout, il y eut le bombardement du 1er novembre 1940 qui surprit tout le monde. Pourtant des grandes croix rouges avaient été cousues pour indiquer qu’il y avait des malades dans la mission. Le général de Gaulle est venu pour constater les dégâts et a permis la réparation des bâtiments qui avaient été touchés. Le 9 novembre 1940, on a assisté aux combats entre le « Bougainville » bâtiment de guerre vichyste qui gardait la rade et le cap de Palme et le « Savorgnan de Brazza » armé par les soldats de la France libre du Général de Gaulle.   Au bout de vingt minutes Le Bougainville fut en flammes et coula.

Le Père René Lefèvre eut le réflexe de mettre le canot à l’eau pour récupérer les soldats français victimes de cette lutte fratricide. Cette bataille se termina par la prise de Libreville par les Forces françaises libres sous les ordres du général de Gaulle.

Souvenirs d’enfant

J’étais encore très jeune quand nous étions en Afrique ; aussi mes souvenirs sont flous, mais il me reste des images fugaces.

Ma mère me racontait que c’est un python qui gardait la terrasse… j’avoue ne pas m’en souvenir, mais par contre je sais que des pythons peuvent être apprivoisés. Nous vivions au cœur de la brousse avec les singes. Un jour, j’ai dit à l’un d’eux qu’il était laid et il m’a mordu avant de ficher le camp !

J’ai un net souvenir des transports en pinasse dont j’avais très peur. On nous mettait là-dedans en nous disant : « vous n’avez pas le droit de bouger, sinon on chavire » ; et ça durait des heures !

Mes parents avaient tracé la piste pour arriver au village de brousse qu’ils avaient aussi construit et dans lequel nous vivions.Il fallait plus de 1 heure en camion pour atteindre notre village qui se situait en pleine forêt après le village de Kango. Il était aussi d’usage d’employer le Tipoy (la chaise à porteurs) pour se déplacer.

Les familles européennes sur les chantiers représentaient une minorité, car il n’était pas aisé d’élever les enfants dans la brousse, généralement loin de toute école et de centre de santé bien équipé.

Dès lors, il était plus raisonnable de rentrer en France, ce que mes parents décidèrent en 1946. Nous voici voguant sur l’atlantique durant un long mois avant d’arriver à Marseille en 1946.

Pour retrouver la suite des aventuriers de Machecoul:

On a tous droit à l’amour

Récit de vie

Accompagnement à l’écriture Valerie Jean Biographe

Illustration : Nathalie Richard

Monique Lacaille-Coufourier, fait le récit de son enfance. Confiée à la DASS, 15 jours après sa naissance, elle ne retrouvera jamais ni le foyer parental ni le partage d’une vie avec ses frères et sœurs de sang. Appuyés par documents et des témoignages, elle dévoile ici les souvenirs qui lui restent de cette vie d’esclave violentée par deux de ses nourrices.

Extraits du livre « on a tous droit à l’amour »

Ma liberté acquise, enfin, je me suis donné le droit d’écrire mon histoire. D’abord pour moi, pour déposer les mots de cette mémoire douloureuse, pleine d’interrogations, de doutes et de culpabilité… Tourner la page, c’est ce que je me souhaite et avec l’écriture de ce livre, je sais que je vais y parvenir. Raconter les circonstances de ma naissance m’a permis de suivre le fil d’une histoire occultée, découpée dont je redécouvre les acteurs comme une pièce de théâtre oubliée.

Des enfants de passage, des voisins compatissants

Comme je l’ai dit, dans cette famille de nombreux autres enfants de la DDASS sont passés.

Ma mère nourricière ne disait-elle pas à ses amis et devant moi :

  • J’avais des enfants de la DDASS pour m’offrir ma maison…

Vers mes 8 ans, deux fillettes en bas âge sont arrivées dans la famille.

Ines et Melinda. Cette dernière était une vraie sauvageonne. Je me souviens qu’elle déterrait les légumes du potager et les mangeait. Elle faisait énormément de bêtises et elle demandait une surveillance constante sauf que c’est à moi que revenait ce rôle ingrat !

Une fois elle avait bu de l’anisette berger pure, ce qui bien sûr eut pour résultat d’être ivre… elle s’accrochait aux rideaux et je voyais le moment où la tringle casserait… heureusement, ce jour-là Damien m’a sauvé la mise. Il lui a fait boire du café et l’a couchée.

La fois où elle avait bu dans une barrique de cidre entreposée dans la cave, c’est moi qui avais dérouillé !

Ma mère m’obligeait à les garder et outre le fait qu’elle me tenait pour responsable des dégâts qu’elle causait, je ne pouvais m’échapper et profiter de l’absence de ma mère nourricière pour aller jouer avec mes copines.

Tous les jours, j’avais l’habitude de prendre les clés de la porte du garage que je refermais derrière moi en partant et que je replaçais dans la boîte aux lettres. Ce jour-là, ma nourrice m’avait demandé de garder les clés, car elle s’était absentée.

Malencontreusement, par habitude, j’ai remis les clés dans la boîte aux lettres ! La panique me prit… comment faire ?

Je demandai alors à Jacquot un voisin de m’aider. Il a essayé pendant longtemps de récupérer les clés avec un fil de fer… le temps passait et je ne pensais qu’à une chose : la dérouillée que je me prendrai quand la nourrice rentrera.

Mon ange veillait et enfin Jacquot réussit à sortir la clé de la boîte aux lettres. Ouf, j’étais soulagée et en récompense, je lui ai fait un gros boujou !

Les colos de l’été

Régulièrement chaque été je partais en colonie de vacances, en montagne.

Dans mon souvenir, on faisait beaucoup de marches dans des endroits pas toujours sécurisés, je me souviens d’un jour où un des enfants était tombé dans le ravin…

Quant à moi, égale à moi-même, habituée à ne jamais me plaindre, j’étais partie en randonnée alors que j’avais des mycoses entre les doigts de pieds. Cela me grattait terriblement d’autant qu’on portait de grosses chaussettes de laine dans de gros brodequins.

Très vite les mycoses se sont enflammées pour devenir des véritables plaies ouvertes : je souffrais beaucoup et la nuit je pleurais en silence jusqu’au moment où la copine avec qui je dormais alerte les animateurs.

Quand ils ont constaté les dégâts, ils m’ont envoyé chez le médecin dès le lendemain qui m’a prescrit des bains de pied au permanganate.

J’étais au milieu du pré, assise les pieds dans une bassine à attendre l’effet cicatrisant du produit. Quand j’ai retiré mes pieds, je me suis affolée de voir mes pieds bleus, pleurant de rester comme ça ! Les animateurs m’ont rassurée m’expliquant qu’avec un lavage tout rentrerait dans l’ordre !

Les jours suivants, je n’avais plus à marcher et j’accompagnais les animateurs dans la jeep…Sur le sentier qui grimpait, je faisais coucou aux copines qui souffraient sous le soleil. Et le soir je ne dormais plus dans le dortoir mais à l’infirmerie.

Ces privilèges valaient bien une petite souffrance, non !

Cette année-là, à la fin de la colonie, ma nourrice avait tardé à venir me chercher. Je disais alors aux animateurs :

Ce n’est pas grave, placez-moi ailleurs !

Pour accéder à d’autres extraits de ce récit de vie:

https://www.biographe-valeriejean.fr/on-a-tous-droit-a-lamour/