Une biographie réalisée par Valérie jean Biographe
Résumé
Ange et Marie Claude tous deux natifs de Tunis, issus de famille sicilienne et franco-sicilienne ont vécu le basculement de l’histoire avec la fin du protectorat français de Tunisie par la France. Malgré les blessures de cet arrachement, leur parcours est celui de ceux qui ont su s’adapter sans cesse par le travail, s’intégrer par des prises de responsabilités tout en gardant leur identité méditerranéenne empreinte de chaleur et d’hospitalité.
Extraits
Le contexte
Au XIXe siècle là-bas, la misère sévissait car l’église et de riches propriétaires avaient accaparé la majorité des terres sans qu’il soit possible de les acquérir ou de les louer. La vie n’était qu’une servitude féodale pour les pauvres gens réduits à l’esclavage. Il existait quelques entreprises, mais pour y être employé il fallait être recommandé par un notable souvent inféodé au système mafieux ou aidé d’une puissante famille.
C’est ainsi que les plus démunis partaient, tentant leur chance ailleurs, vers la France, l’Italie, les États-Unis pour ceux qui avaient un peu d’économie et en Tunisie pour les plus pauvres, l’Afrique étant à portée de rame…
C’est ainsi que s’exilèrent nos aïeux.
Avec Marie et Jacques, leurs enfants, ils se retrouvent un matin, entassés dans une barque avec d’autres migrants moyennant quelques lires leur passage vers la Tunisie.Les rumeurs disaient que l’on pouvait trouver du travail facilement là-bas et surtout, ce n’était pas éloigné de leur île natale.
À peine débarqués, un bureau d’accueil est chargé d’orienter tous les migrants qui arrivaient en masse, de Sicile, mais aussi de France, d’Espagne et de Malte.
Vincent n’avait pas de métier à proprement parler, et pour commencer sa nouvelle vie, il se mit à travailler la journée dans une ferme. Mais comme beaucoup de Siciliens, il savait jouer de la guitare, ce qui l’amène à se produire le soir dans un bar où des hommes fatigués de leur labeur sont heureux d’écouter de la musique. Cela lui arrive aussi de louer ses talents pour quelques sous en jouant la sérénade sous un balcon !
À force d’opiniâtreté, le couple se trouve une modeste maisonnette et coule des jours heureux. Mais la société n’est pas encore à l’amour libre et les amoureux doivent régulariser leur situation… si un autre enfant venait à venir ! Le mariage a lieu à la cathédrale Saint Vincent de Paul de Tunis.
Un ancêtre prestigieux
Le soir c’était la veillée et le moment pour les parents de raconter les anecdotes familiales. Ainsi ma grand-mère a écouté de nombreuses fois son père raconter l’histoire de son neveu Vincent BELLINI, musicien devenu célèbre à Paris.
Son père, modeste organiste, travaillait au consulat royal de Naples. Il avait présenté son fils compositeur au roi de Naples qui à son tour, trouvant ce jeune très doué, le poussa à composer pour la Scala de Milan et l’invita à la cour de Napoléon III. Né à Catania lui aussi, il est mort jeune d’une dysenterie, laissant malgré sa courte carrière des opéras parmi les plus joués du répertoire lyrique.
L’amour de la musique est une réalité familiale, d’ailleurs Vincent, mon arrière-grand-père a offert une guitare couverte de nacre et décorée de perles fines à Catherine avec le désir qu’elle anime les longues veillées entre amis.
La tempête guerrière de 1914
Militaire souvent en déplacement, Alphonse était souvent absent. C’est pourquoi Bettina avait choisi de vivre dans la maison de Catherine pour ne pas rester seule.
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, déjà mobilisée.
La Tunisie est alors encore sous protectorat français et selon les termes du traité du Bardo, le ministre de la guerre se trouve être un général français. Le bey qui régente la Tunisie accepte de signer la mobilisation et bien qu’officiellement il reste neutre au conflit, il appelle les Tunisiens à venir en aide à la France.
Alphonse qui est français, appartenant à l’armée d’Afrique doit suivre son régiment qui part sur le front. Il a le cœur lourd alors que Bettina attend leur deuxième enfant : Suzanne qui a les yeux bleus de son papa, naît en son absence. Ce n’est qu’un an après sa naissance qu’elle connaît son père, au retour d’une permission. Mais au bout de trois mois, Alphonse doit repartir, quittant de nouveau Bettina enceinte d’un troisième enfant : Marie Joséphine qu’il ne verra que quelques semaines.
En effet, revenu malade, très amaigri et affaibli, il ne survécut pas au régime impitoyable du front et mourut à l’hôpital.Veuve de guerre, Bettina reçut une rente du consulat de France. Quant à Catherine, elle finit par vendre sa boutique de chapeaux après la terrible guerre qui ravagea l’Europe. Les mœurs et la société avaient beaucoup évolué et les chapeaux n’étaient plus en vogue.La mère et la fille se serrèrent les coudes pour subsister grâce à des petits travaux de couture et diverses tâches chez les particuliers.
Le moyen âge sicilien
Mon grand-père paternel né à Patti en Sicile est issu d’une grande famille industrielle qui fabriquait des poteries et des assiettes ; elle était également propriétaire d’épiceries.
C’était donc une famille de notables dominante puisqu’en Sicile à cette époque, cela se passait comme ça. Les riches avaient l’argent et la terre et s’étaient accaparé le pouvoir. D’ailleurs Sauveur, mon père, m’a raconté ce souvenir significatif illustrant cette domination sociale qui est resté dans la mémoire familiale.
Encore enfant, il jouait sur la place de Patti avec son costume marin rayé quand un homme l’a bousculé lui disant
- Va jouer ailleurs !
Sauveur est alors parti chercher son oncle qui sans aucune hésitation est venu avec sa canne au pommeau d’or, interpellant l’homme :
- Venez ici ! Qu’avez-vous dit à mon neveu ?
- Je lui ai dit d’aller jouer ailleurs répondit l’homme.
- Vous n’avez pas à dire cela à mon neveu… donc vous allez vous mettre à genoux et dire pardon à mon neveu.
Et l’homme s’est exécuté sans demander son reste ! Cette anecdote montre bien le climat social qui régnait à l’époque en Sicile.
Mais revenons à la vie du fils de cette famille de notables. Il est tombé amoureux de ma grand-mère Maria, native de l’île de Favignana, qui avait été employée comme couturière, venue vraisemblablement travailler à Patti au service de la famille Leone.
Ils ne sont bien sûr pas du même milieu et la famille voit d’un mauvais œil cette liaison. Mais ils s’aiment et trois enfants naitront de leurs amours et pour échapper au poids de la famille, ils décident de s’exiler en Tunisie.
Thindaro était un artiste, très raffiné, il avait appris la musique, ce qui lui permettait le soir de jouer du piano dans un bar. Pendant la journée, il était sculpteur ébéniste. Mais en Tunisie, il se sentait limité et son ambition lui commandait de partir vers des horizons plus prometteurs. Sa sœur, Sarina ayant épousé un Américain, était déjà installée à New York. Thindaro souhaita lui aussi s’exiler aux États-Unis, mais avant de partir, il voulut revoir sa famille en Sicile, ne sachant pas s’il les reverrait un jour.
Maria, Thindaro et leurs enfants rejoignirent Patti. À peine arrivés, les autorités l’enrôlèrent dans l’armée et l’envoyèrent au front… malgré ses trois enfants. Sa femme, qui n’était pas légitimée par la famille, a reçu la permission de rester dans la maison Leone, mais comme employée et non comme belle-fille ; ses enfants comme elle devaient manger à la cuisine.
Elle accepta la situation tant que Thindaro était à la guerre ; ils s’écrivaient régulièrement. Quand, au bout d’un certain temps, les lettres cessèrent de lui parvenir, elle a compris qu’il ne reviendrait plus.
La disparition de son mari l’a rendue folle et elle a tenté de se suicider. Ne pouvant plus supporter de rester dans cette famille qui ne l’acceptait pas, Maria préféra retourner en Tunisie et se débrouiller seule avec ses enfants. La précarité l’engagea à placer son fils Sauveur dans un orphelinat, Il n’avait que 6 ans.La discipline était très sévère, calqué sur l’ordre militaire. On faisait mettre les enfants en rang avec de faux fusils en bois comme à l’armée. Ils étaient si mal nourris qu’un jour, Sauveur est allé aux cuisines pour voler un saucisson ; il a été pris et en punition il a été enfermé dans un cagibi avec des rats.