Une biographie réalisée par Valerie Jean Biographe et Brigitte
Brigitte ouvre le grand livre de sa vie pour offrir à ses enfants et petits-enfants le témoignage d’une vie riche de talents qu’elle veut partager. Femme active, elle a su combattre les vents contraires pour arrimer son bateau familial à bon port.
Aujourd’hui, au coeur du marais Poitevin, grand-mère épanouie, elle donne à chacun sa part d’amour . Puisse ce livre en apporter davantage encore.
Extraits de « Les couleurs de ma jeunesse »
Préambule
Raconter sa vie, oui très bien mais à qui ? Pourquoi ?
Il m’a fallu apprivoiser cette idée pour laquelle je n’étais pas prête, j’ai d’ailleurs pris mon temps pour l’écrire cette vie.
Je suis revenue d’abord sur les premières années, celles des images de soleil, de jeux, de rires, de l’insouciance de l’enfance ; les années d’émois adolescents, des sorties, des copains et des premières fois…. Puis j’ai fait le choix de faire un saut dans le temps et de parler de mes belles rencontres artistiques.
Les souvenirs étaient lointains, flous et ne se laissaient pas attraper… Remonter le temps, plonger dans ma mémoire pour redonner vie à des anecdotes, des personnages, voilà mon livre.
Comme les fleurs d’un bouquet, mes petites histoires colorées de la joie d’enfant, forment le récit de ma vie, qui ne serait pas noirci par l’ombre des drames d’adulte.
Les couleurs blanches de Casablanca
Nous habitions une petite maison blanche aménagée d’une terrasse qui donnait sur la ruelle, proche de la cathédrale. La solde de militaire de papa qui, il faut bien le dire, était minable n’arrivait pas régulièrement et il fallait se débrouiller. Mon oncle J, de la coloniale ramenait du café vert que maman revendait pour faire un peu d’argent. Maman n’était pas aidée par le rationnement pour élaborer de bons repas. Elle devait s’approvisionner avec les tickets de ravitaillement.
Mes parents communiquaient peu entre eux et maman n’osait pas lui demander de l’argent pour acheter de quoi vivre. Elle lui écrivait des poèmes pour amadouer mon père ! D’ailleurs quand il revint définitivement à la maison, il s’est aperçu que sa solde était restée sur son compte en banque et que maman, n’en ayant pas l’accès, elle n’avait rien pour vivre. C’était difficile pour elle mais je ne l’ai jamais entendu se plaindre.
Cinq enfants à éduquer, car O avait rejoint la fratrie, le quotidien fut compliqué à gérer pour les jeunes parents. D’autant que la majorité du temps ma mère se retrouvait seule.
C, pendant les premières années de son enfance fut notre alibi pour toutes les bêtises qu’on inventait mes frères et moi car étant encore trop petite, elle ne pouvait pas se défendre.
Un jour on a tagué son landau à la craie… sans doute maman n’était pas si incrédule que nous voulions le croire. Nous étions des enfants durs, on lui en faisait voir de toutes les couleurs !
Comme le jour où mes frères m’avaient enfermée dans la cheminée tandis que maman me cherchait partout. Quand enfin elle me retrouva, j’étais maculée de charbon de bois, noire des pieds à la tête !
Une autre fois, mes frères m’avaient mise sur une planche me demandant de faire la morte et pour imiter un enterrement local, psalmodiant une mélopée arabe ! Ils s’exclamaient Brigitte est morte à qui voulait l’entendre… On ne parlait que quelques mots d’arabe car la plupart des marocains comprenaient le français. On jouait dans la rue, c’était une grande liberté et je garde d’excellents souvenirs de cette période.
On vidait les tiroirs de la commode pour les transformer en voiture dispersant le linge propre et plié par terre dans la maison… Pauvre maman. On ne savait pas quoi inventer pour agrémenter nos jeux.
Ponctuellement, une jeune femme marocaine venait aider maman à s’occuper de nous ou des tâches ménagères. Elle nous emmenait quelquefois au parc avec des jeux qui étaient payants. Maman lui confiait « les sous », petits bouts de cartons (sorte de timbres) pour régler l’entrée… mais elle les perdait souvent alors on revenait sans avoir été au parc !
Je n’avais que 5 ans mais j’ai le souvenir d’une scène qui montre combien j’étais liée à mes frères. Ils étaient louveteaux. Un jour, alors qu’ils retournaient vers la maison, vêtus de leurs uniformes, ils furent agressés par une bande de gamins… Mais le règlement scout était clair : ils n’avaient pas le droit de se battre. J’ai alors pris des cailloux et j’ai attaqué la bande, répondant à l’agression à leur place !
Pour les trajets de l’école, maman s’organisait du mieux qu’elle pouvait car c’était assez éloigné de la maison.Elle prenait un enfant sur le cadre, l’autre à l’arrière du vélo et le plus grand commençait le chemin à pied en attendant qu’elle revienne pour le deuxième « chargement ! »
Ils m’appelaient Brigousquette des Pegnettes et grandir à leur côté a fait de moi, une fille dégourdie et peu sophistiquée. À ce moment-là, maman nous habillait pareil et fabriquait nos vêtements.Nous étions inséparables avec mes frères qui ne se gênaient pas pour me taquiner.Une fois, ils m’enquiquinaient dans la rue, concentrée pour éviter leurs chamailleries, je suis rentrée dans un poteau qui s’est plié sous le choc ! Fidèles à leur habitude, plutôt que de me rassurer, ils m’ont dit que j’allais aller en prison pour avoir abîmé le poteau…!
Maman était croyante et pratiquante et papa aussi. On a connu le catéchisme, la confession et la messe qu’on préparait dès la veille en jeûnant. Pour ma communion solennelle, j’avais une robe blanche toute simple, les aubes uniformes sont arrivées plus tard. On m’avait donné en cadeau un missel, une montre et un stylo. On faisait des faire-part pour annoncer le jour de la communion, partagé avec la famille et les amis autour d’un repas.
Pour Noël, on vidait les armoires pour donner nos vêtements aux pauvres… Pour nous c’était le petit Jésus qui apportait les cadeaux !Un jour, j’ai reçu une petite poupée de chiffon dont j’ai reconnu le tissu d’une de mes robes… Pour un autre Noël, j’avais eu une ceinture tandis qu’Alain avait reçu des babouches. Vexée de ne pas en avoir également, j’ai piqué une colère et ma ceinture a servi à me faire passer ma crise !
Quand nous étions trop odieux, et cela arrivait souvent, ma mère nous privait de denrées qui étaient introuvables comme les bananes ! Elle avait une imagination fertile pour nous infliger des punitions : une casserole d’eau sur la tête ou bien aller au lit tout nu sans manger ! Passé le plaisir de voir l’autre puni, la solidarité fraternelle prenait le pas et en cachette on gardait un dessert au condamné !!!
Je détestais les lentilles. Je me souviens d’un repas où face à mon assiette, subrepticement je fichais tout, cuillère par cuillère par terre… Quand mes parents s’en sont aperçus, ils m’ont resservi et ont assisté à ma pénible ingurgitation de ce légume honni.