paysannerie, autobiographie

biographie « Un siècle sur Ma terre »

  » Un siècle sur ma terre »

La biographie de Rachel, centenaire

ma terre

 Une biographie réalisée sur la base de 18 heures de travail, entretiens sur déplacements et visites des lieux de mémoires.

Résumé

L’héroïne et auteur, centenaire nous fait parcourir le siècle dans son quotidien rural, remontant avec une mémoire prodigieuse le temps. Par des anecdotes précieuses, elle partage avec nous tout l’art de vivre des gens de la terre.

EXTRAIT DU LIVRE « MA TERRE »

La ferme de la P, au jour de ma naissance était  en exploitation mais son origine est sans doute, une ancienne chapelle où subsistent encore des fragments de fresques du XII ème siècle.
J’ai donc fêté mes quatre-vingt-dix-neuf printemps il y a peu. Je me rends compte que j’ai beaucoup à dire sur ce siècle que j’ai traversé. Ainsi, aujourd’hui, je suis prête à vous raconter mon histoire.
Ma mère enceinte,,  partait travailler, comme d’habitude, le matin et revenait des champs le soir, et ce jusqu’à la fin de sa grossesse. Nous les enfants, on ne remarquait rien d’anormal et puis on était tout entier absorbé par nos jeux.
Mon frère en grandissant a commencé à avoir des soupçons mais sans vraiment comprendre le fin mot de l’histoire.
A l’école, on entendait « il y a une petite sœur ou il y a un petit frère » mais on n’en faisait pas plus de cas. On savait juste que la naissance d’un enfant annonçait un baptême et que ce jour là nous aurions des bonbons alors on était content.
Il fallait baptiser les bébés avant trois jours car dans la tradition catholique « L’enfant qui meurt sans Baptême se voit fermée à tout jamais la porte du ciel. »

Avant la guerre, beaucoup de femmes portaient des bonnets avec des fonds de dentelle. Elles portaient ces coiffes ouvragées surtout pour aller à la foire et à la messe. En 1920, la mode des chapeaux est apparue et maman s’en est acheté un mais ce n’était pas exceptionnel car il n’y avait plus que les vieilles femmes pour porter le bonnet.

J’étais donc très jeune au moment de la première guerre.
Les hommes sont partis et pendant plus de trois semaines ma mère est restée sans nouvelle. On était là, à attendre, jusqu’au jour où on recevait un petit bout de papier et puis de nouveau plus rien.
Plus tard quand le front s’est stabilisé, on a su la destination de leur régiment et on a pu alors avoir plus facilement des nouvelles.
Pendant ce temps là, à la ferme le travail ne manquait pas. On cherchait à employer des ouvriers mais la majorité des hommes étaient partis et c’était difficile de trouver des bras capables d’assurer les travaux de la ferme.
Un jour, une pauvre jeune fille, mobilisée pour ramasser nuit et jour le lait, est passée à la ferme. Maman lui a parlé :
– « Tu ne voudrais pas venir travailler chez nous ? ».
– « Oh ben je demanderais que ça » a-t-elle répondu.
C’était M, la servante qui est restée vivre avec nous pendant toute la durée de la guerre et même jusqu’à son mariage.

Le soir, avant d’aller dormir, Maman et M partaient voir les bêtes aux écuries avec la lampe tempête. L’électricité n’avait pas encore illuminé nos campagnes, et les femmes sortaient par n’importe quel temps.
Pendant l’absence des maris, elles ont dû souvent remplacer les hommes et entreprendre leur labeur.
Papa est resté trois années à la guerre mais du fait qu’il était père de cinq enfants, il a pu rentrer dès 1917.
Quelle émotion quand il est revenu, je le revois habillé en militaire, avec sa moustache qui s’élargit dans un grand sourire en nous voyant : on était heureux.
Maman avait été prévenue de son retour mais elle ne connaissait  ni le jour, ni l’heure exacts de son arrivée.
Ce soir là, Charlotte et moi on jouait à la marelle dans la cour. Il a contourné l’entrée principale de la ferme en arrivant par les champs car il voulait ne pas se faire voir pour créer la surprise.
On s’est jeté dans ses bras en riant mais il nous a fait « chut ! » car il voulait surprendre maman tandis qu’elle préparait à manger dans la cuisine Et ce fut les joyeuses retrouvailles.
C’était une grande chance d’être à nouveau réunis, ce qui ne fût malheureusement pas le cas des familles dont les soixante-neuf hommes ne sont jamais revenus dans le village de C. Au début papa était sur le front, il faisait la guerre dans les tranchées, l’enfer terrible des tranchées pendant l’hiver… Les hommes avaient les pieds dans l’eau, ils cherchaient des rondins de bois pour monter leurs pieds.
Mais dans son malheur d’être là-bas, il a eu la chance de ne pas participer aux opérations d’attaque. Cela faisait beaucoup de morts ces combats.
Mais rester dans les tranchées c’était déjà survivre. Entre le froid, la maladie, les gaz et les tirs d’artillerie, le miracle de vivre se regagnait chaque jour.
Malgré sa joie d’être revenu, mon père est resté marqué par la misère de la guerre. Tout le monde parlait de ses enfants partis. Il y avait tellement de jeunes qui partaient et ne revenaient jamais. Quand les hommes sont rentrés ils en ont encore parlé pendant longtemps, très longtemps.
Ma génération a grandi en entendant parler de la guerre tout le temps car tout le village ne parlait que des morts qui ne revenaient pas, des hommes blessés et traumatisés à vie, des ruines des fermes qui ne s’en sortaient pas.
On a grandi dans le malheur de la guerre.

On connaissait bien les chemins, on vadrouillait dans la campagne ou dans des lieux improvisés comme la carrière qui nous servait de terrain de jeux sauf que souvent on y rencontrait des vipères. Moi je n’aimais pas cela.
Une année, les choux se perdaient. Les fermiers les ont mis dans la carrière pour qu’ils sèchent durant l’été et en septembre les fermiers ont mis le feu aux choux desséchés qui se sont enflammés sans problème. On n’a plus jamais vu de vipères dans la carrière.
Une autre fois sur un chemin qu’on empruntait régulièrement, il y avait une grosse couleuvre. Papa n’arrivait jamais à l’attraper cette sale bête. Il a fini par l’avoir avec son fusil.
Quand on vit comme nous dans une ferme, on est habitué à côtoyer toutes sortes d’animaux depuis notre plus jeune âge. Bien sûr j’avais du rejet pour certains comme le rat mais je n’avais pas peur.

C’est arrivé pendant des hivers rigoureux que les professeurs nous renvoient chez nous avant l’heure parce que la neige commençait à tomber. C’est qu’on marchait trois kilomètres dans les chemins pour rentrer.
Un jour, il neigeait tellement qu’on n’a pas pu quitter l’école toutes seules. Mes parents ont envoyé un domestique pour nous ramener. J’étais si petite que l’homme m’a pris sur ses épaules pendant qu’il aidait ma sœur à marcher dans la neige.
Quand on était petit on avait des galoches. Celles qu’on portait pour la messe avaient le bout vernis. Après on a eu des sabots plats avec un chausson, c’était plus confortable parce qu’il n’y avait pas la tige comme dans les galoches.
Plus tard on a eu des souliers pour aller à la messe.

A Noël, maman préparait un repas un peu plus copieux mais on ne faisait pas de décoration comme aujourd’hui.
Il n’y avait même pas de sapin. On mettait sa galoche à la cheminée et le lendemain on trouvait une orange dans notre chaussure. On la mangeait tout doucement, en la dégustant. Après on gardait la peau dans notre poche pour sentir l’orange le plus longtemps possible. On buvait aussi du vin chaud.
Quelquefois on venait me chercher pour chanter à la crèche de l’école : « Depuis plus de quatre mille ans.. ». J’en connais tellement de chansons qu’on n’aurait pas assez de temps pour toutes les écrire !

Que ce soit en été ou en hiver on partait faire la lessive à la rivière ou dans les trous d’eau aux alentours. L’été, on en profitait pour se tremper en retroussant nos jupes. On faisait bien attention de ne pas tomber car on ne savait pas nager.
L’hiver, on allait au plus près parce que c’était pénible quand il faisait froid de garder les mains dans l’eau glacée. A cette période de l’année, l’eau du T inondait toute la terre et on pataugeait dans la boue.
Chaque commune avait soit un lavoir soit une étendue d’eau. Cela dépendait de la sècheresse de la saison d’été. Dans la ferme du P, il y avait toujours de l’eau.

Nous faisions des veillées.
On partait vers sept heures les uns chez les autres, on s’amusait à chanter, danser, jouer et après le café on rentrait le plus souvent dans le noir avec la lampe tempête qui ne s’éteignait jamais, même par grand vent. On connaissait les chemins et malgré l’obscurité on savait par où passer.
Pour le réveillon, le boulanger nous préparait des pains, on se retrouvait pour boire ensemble un café au lait bien chaud. On devait se prêter des bols parce qu’on était une douzaine et dans les fermes il n’y en avait pas pour autant de monde.
Dans le village, les pigeons ça roucoulait !

 

 

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