« Ma vie au long cours, Entre terre et Mer »
Cette biographie a nécessité 8 h d’entretiens et une trentaine d’heures de retranscription du journal de bord du narrateur de toute la période de son engagement dans la marine. L’édition à titre familial et privé a été réalisée par Editions Scripta.
Résumé
Ce livre émouvant retrace l’aventure d’un homme qui a partagé sa vie entre une difficile enfance rurale, une adolescence sévère à l’école des apprentis mécaniciens et ses pérégrinations comme marin de la Royale, jusqu’aux confins de l’Asie durant la deuxième guerre mondiale. Elle retrace le chemin d’autrefois où les petits gars de la campagne mordait la poussière des granges, des églises, des vieilles écoles pour se sortir de leur condition. Constant nous ouvre aux vieux métiers, aux traditions, à la vie difficile d’autrefois avec toujours cette modestie du coeur qui fait les grands de ce monde.
EXTRAITS DU LIVRE « ma vie au long cours entre terre et mer »
Mon métier de bouilleur de cru
Papa avait acheté l’alambic au père G, le mari de l’épicière du bourg, qui souhaitait s’occuper de ses trois ou quatre vaches.
L’alambic qui était un poste fixe, était installé au bord de la douve pour sa réfrigération, près de l’école de garçons.
Papa n’avait pas le temps de s’occuper de cet alambic, il ne l’avait acheté que pour en faire profit, son métier l’accaparait bien assez.
Maman s’en occupait l’après midi, profitant de la surveillance de l’alambic pour repriser maillots et chaussettes.
Il fût donc décidé que c’est moi qui m’occuperais de l’alambic. Papa m’expliqua le fonctionnement de la machine et la gestion administrative : il fallait déclarer au bureau de la régie les clients, c’était très réglementé. Le fermier passait chez le buraliste pour son laisser passer puis venait nous payer et charger son alcool.
On brûlait deux barriques de cidre par jour, ce qui donnait environ douze litres d’alcool à 100° qu’on ramenait à 50°, 52°.
Quant il n’y avait rien à distiller, je restais à aider papa à son atelier pour scier du bois ou raboter.
Je commençais à m’habituer à ce travail. Les gens venaient discuter avec moi au bord de la route.L’alambic fixe n’était pas assez rentable car il fallait attendre le client qui ne pouvait pas toujours se déplacer. Papa a donc décidé d’acheter un alambic mobile. C’était une machine fixée à un brancard monté sur deux roues, pouvant être tiré par un cheval. C’était un gros achat qui coûtait très cher à cause du cuivre qui composait l’alambic.
Après démonstration et plusieurs leçons de conduite chez le marchand, c’est moi qui pris en main le nouvel alambic.
La clientèle de C ne suffisant pas, il fallait battre la campagne pour trouver de nouveaux clients dans les communes avoisinantes.
Cela me faisait des tournées de vingt-cinq kilomètres à la ronde.
A la belle saison, je partais le lundi et revenais le samedi soir.
Ce que je n’aimais pas c’était coucher dans les fermes.
Je me demandais toujours comment j’allais être reçu, moi qui étais bien petit pour mon âge. Les gens s’étonnaient qu’un minot fasse ce travail. Je m’en sortais bien, je n’avais pas trop le trac.
Je partais de très bonne heure pour faire la distillation chez le client pendant la matinée. Il fallait que je sois régulier car « la volante », une brigade de la régie pouvait me contrôler si je ne respectais pas le temps déclaré au bureau de C ou d’A. Ils me posaient alors tout un tas de questions : « combien d’hectolitres avez-vous brûlé ? », « cela fait combien de litres d’alcool ? » etc…Je n’ai jamais eu d’ennuis.
L’après-midi était consacrée à la recherche de nouveaux clients.
J’arrivais en me faisant connaître et beaucoup avait déjà eu affaire à papa alors le même dialogue s’instaurait :
« Ah oui ! T’es un gars L et c’est toi qui fais la goutte ? »
« Ben oui. »
« Tu es bien jeune ! »
Mais la plupart du temps, les gens étaient sympathiques.
Après la conversation de bienvenue, je les suivais à la cave avec ma sacoche, mon pèse cidre, ma pipette et mon éprouvette, deux instruments pour mesurer le degré d’alcool du cidre dans le tonneau.
Je pesais alors le cidre pour savoir combien d’hectolitres je devais déclarer au buraliste pour le client. De ce travail je ne percevais rien si ce n’est une piécette de temps en temps pour quelques litres de gouttes camouflés.
…
L’année de mes quinze ans s’étirait mollement quand mon ancien instituteur revint me voir pour me soumettre une idée :
« Pourquoi tu ne t’engagerais pas dans la marine comme mécanicien, toi qui es plein d’ambitions et courageux ? »
Mécanicien dans la marine ! Ce n’est pas possible, je n’étais jamais sorti de mon trou…. Sur le coup je ne pensais pas cela réalisable et je ne voyais pas comment y arriver. Et puis l’idée a lentement cheminé dans mon esprit et j’y pensais de plus en plus. Je me décidai donc à reparler avec monsieur F pour voir comment avancer avec cette proposition. J’ai repris mes livres et pendant les deux mois suivants je me suis acharné à travailler sous la conduite de mon instituteur dévoué. Le matin de bonne heure, je sonnais chez lui pour le réveiller, il descendait l’escalier pour me donner les devoirs que j’avais à faire pour la journée et le soir je lui rendais le tout.
La date de l’examen approchait et j’avais peur de n’avoir pas tout appris. Enfin le jour arriva et j’avais les pétoches comme les copains. La journée fût très longue mais j’ai su répondre. Enfin je pus lire les résultats sur la liste : L élève de Mr F. Reçu.
J’ai pleuré de joie et d’émotion ! Mon instituteur était très heureux et il m’a embrassé en me félicitant « c’est bien C, tu as eu beaucoup de mal mais c’est une belle récompense. »
L’école des apprentis mécaniciens de Lorient recrutait des jeunes gens entre 15 ans et 9 mois et 17 ans. Après une période probatoire de trois mois et autorisation parentale, l’engagement était d’une durée de cinq ans à la sortie de l’école.
Malgré ma grande joie, un pincement au cœur me serra la poitrine de savoir tout ce que j’allais quitter.
Apprenti mécanicien de marine à l’école de Lorient
Nous attendons tous la feuille de route, les préparatifs sont faits, les affaires pliées et rangées dans ma petite valise.
Je n’emporte que le strict nécessaire, l’incorporation prévoyant notre habillement pour toute la durée de l’engagement.
Quand le facteur enfin nous délivre le pli du départ, c’est le cœur gros qu’il faut se dire au-revoir. Maman, prévoyante m’avait donné un kilogramme de sucre, craignant pour ma santé fragile. Il est vrai que j’étais très menu, je ne pesais que cinquante kilos.
Le 9 octobre 1936, nous partons par le train, papa m’accompagnant jusqu’à Lorient. C’est mon premier grand voyage, d’habitude c’était Laval quand j’accompagnais ma mère pour acheter des chaussures !
Nous arrivons à Lorient vers midi. Après le repas, nous prenons la direction de l’école. Nous longeons la rue du port et apercevons au bout un goulet flanqué de deux bâtiments : l’entrée de l’arsenal de la marine. Nous présentons les papiers d’incorporation aux gendarmes en faction qui nous indiquent l’entrée de l’école qui se situe sur les quais. Des bateaux de guerre amarrés donnent le ton de mon quotidien à venir.
Après avoir franchi les portes de l’école, un quartier maître m’enjoint de rentrer dans l’aubette, guichet de renseignements et de lui présenter ma feuille de route.
Un gradé, je n’étais pas encore au fait des subtilités hiérarchiques des militaires, coche mon nom sur une liste tandis que l’autre fouille ma valise qu’il vide de son surplus, dont le sucre, et le rend à papa. Il ne me reste plus que mes affaires de toilettes et mon linge de corps.
J’ai à peine le temps de dire au-revoir à papa, au bord des larmes et le cœur gros, qu’on me conduit au premier étage de la caserne pour m’indiquer dans le dortoir mon caisson, armoire-cube métallique fermée par un cadenas, pour ranger mes affaires.
Je lis le numéro 1406 qui ne me quittera plus pendant toute la durée de mon apprentissage à l’école. Il est inscrit partout, sur toutes mes affaires et il devient mon identité puisqu’à l’appel je ne suis plus L mais 1406.
Puis on nous distribue une gamelle, un quart en fer blanc et des couverts pour le soir au réfectoire où nous sommes assis par table de huit. De retour au dortoir, c’est la distribution de nos hamacs qu’il faut gréer en passant les araignées dans les anneaux et bien sûr accrocher le hamac 1406 à l’emplacement 1406 sur les traverses du bastingage ! Nous étions cent-vingt par dortoir et l’extinction des feux se fait à 21 heures.
Enfin le passage à l’habillement pour nos tenues réglementaires : une vareuse, un pantalon à pont blanc et un vêtement de travail.
On ne connaissait rien au fonctionnement de l’école, le changement était brutal, il n’y avait pas d’autre choix que de s’adapter aux nouvelles règles.
En ce qui me concerne, étant affecté à la fonderie, je devais dans un premier temps fondre les métaux dans les creusets et réussir des alliages à base de coke à forte température pour produire soit de la fonte, du bronze ou de l’aluminium destinés aux pièces à mouler.
Nous sortions de nos ateliers toutes sortes de pièces, d’objets ou de matériel nécessaire à bord des bateaux.
Pour la formation maritime les élèves apprennent l’architecture d’un navire, le matelotage qui consiste principalement dans l’apprentissage des différents nœuds, l’emploi des divers cordages et filins et des manœuvres d’embarquement et débarquement des cargaisons d’un navire.
La formation militaire s’effectuait avec d’innombrables exercices qui nous préparaient au maniement d’arme. A mon époque c’était encore le mousqueton avec un sabre. Les sempiternelles ordres à exécuter : « l’arme à l’épaule », « présenter l’arme » ou « reposer l’arme ». Il fallait savoir défiler en rang serré avec un pas régulier.
Nous devions aussi répéter pendant de longues moments les demi-tours, les garde- à- vous dans la cour de l’école.
Retenir les saluts sachant que dans la marine on ne devait pas dire « mon commandant » mais seulement « commandant » et que pour certains il fallait précéder le salut de « Monsieur le… » quand c’était un gradé médecin par exemple.
L’enseignement général tenait une bonne place pour atteindre les niveaux supérieurs avec les sciences, les mathématiques, la géographie et le français avec des sujets de dissertations très orienté comme par exemple « Pourquoi êtes vous rentré dans la marine ? » ou « Souhaitez vous faire carrière dans la marine ? Dites pourquoi. » Il va sans dire qu’il fallait être très prudent dans les réponses que nous donnions !
Enfin la formation sportive qui s’effectuait sur le terrain de sports des fusillers marins, aménagé d’un stade et d’une piscine.
C’est ici que j’ai appris à nager, avec beaucoup de mal !
Les humiliations quotidiennes étaient très difficiles à supporter en plus du travail à fournir pour réussir dans nos études, surtout ceux comme moi qui n’avait qu’un faible niveau au départ.
Certains n’étaient pas acceptés, d’autres mettaient fin à leur vie en se pendant ou se jetant dans la rivière, ne pouvant plus supporter l’école et son ambiance dévastatrice sur nos esprits. Quand un gradé nous parlait on était traumatisé. Nous n’étions que des choses au service de quelques uns qui avaient le pouvoir de faire ce qu’ils voulaient avec nous.
Du baptême de la ligne au baptême du feu
Une révélation s’impose à moi : je suis malade en mer.
Cette malédiction ne me quittera jamais de toute ma période de marin !
Le franchissement de la ligne est avant tout un rite de passage, qui fait du novice un marin confirmé. L’ordre social à bord est renversé pour transformer le bateau en scène de théâtre où se donne une pièce burlesque dans laquelle chacun trouve un rôle. Les averses équatoriales douchent les participants qui partent ensuite explorer les contrées inconnues semées d’embûches que les anciens leurs ont concoctées. Puis intervient le plongeon dans un grand réservoir d’eau, purification symbolique.
Sa Majesté Neptune nous accorde donc le droit de fêter dignement ce passage par une cérémonie.
Celle-ci est annoncée la veille par un facteur qui avec un bicycle d’une roue distribue des invitations aux jeunes marins devant être baptisés non sans nous montrer ses fesses peintes en rouge vif !
Neptune tout puissant accompagné de la reine et des sauvages peinturlurés de noir, badigeonnés pour cela d’huile et de fumée investissent le pont pour se rendre sur les lieux du baptême, protégés par un cordon de « gendarmes de l’équateur » : après les serments du curé, déclamés du haut d’une chaise fixée au dessus de la piscine, le baptême commence.
C’est le commandant-adjoint, le premier à se faire malmener par les sauvages en étant plongé dans l’eau, maintenu dans la piscine et enfin savamment aspergé de mixture faite de farine et d’eau.
Après lui tous les novices se feront baptisés sous une tornade de rires et de bousculades.
Retrouvez d’autres extraits du livre « Ma vie au long cours entre terre et mer » sur mon site. notamment la bataille de Mers El kebir.
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